Robert Houghton, The Middle Ages in Computer Games. Ludic Approaches to the Medieval and Medievalism, coll. “Medievalism”, vol.XXVIII, Cambridge, D.S. Brewer, 2024.
Games with a medieval setting are commercially lucrative and reach a truly massive audience. Moreover, they can engage their players in a manner that is not only different, but in certain aspects, more profound than traditional literary or cinematic forms of medievalism. However, although it is important to understand the versions of the Middle Ages presented by these games, how players engage with these medievalist worlds, and why particular representational trends emerge in this most modern medium, there has hitherto been little scholarship devoted to them.
This book explores the distinct nature of medievalism in digital games across a range of themes, from the portrayal of grotesque yet romantic conflict to conflicting depictions of the Church and religion. It likewise considers the distinctions between medievalist games and those of other periods, underlining their emphasis on fantasy, roleplay and hardcore elements, and their consequences for depictions of morality, race, gender and sexuality. Ultimately the book argues that while medievalist games are thoroughly influenced by medievalist and ludic tropes, they are nonetheless representative of a distinct new form of medievalism. It engages with the vast literature surrounding historical game studies, game design, and medievalism, and considers hundreds of games from across genres, from Assassin’s Creed and Baldur’s Gate to Crusader Kings and The Witcher series. In doing so, it provides a vital illustration of the state of the field and a cornerstone for future research and teaching.
Table des matières
Introduction: The Middle Ages in Computer Games
1. Mechanical and Social Pressures
2. Medievalist Genres
3. Combat and Warfare
4. Science, Technology and the Dark Ages
5. Rule and Rulership
6. The Church and Organised Religion
7. Morality
8. Race and Nationality
9. Gender and Sexuality
Conclusion: A Different Medievalism, Different Games
Bibliography
Filmography
Ludography
Dès l’introduction et à plusieurs reprises tout au long de l’ouvrage, Robert Houghton rappelle le dynamisme de l’industrie des jeux vidéo médiévalistes, qu’il s’agisse de jeux à visée historique ou de fantasy, de jeux de stratégie, de construction, de combat ou autre, tant le Moyen Âge est exploité dans toutes les facettes du jeu vidéo. Ce dynamisme explique aussi l’importante activité des études médiévalistes vidéoludiques, y compris dans leur volet pédagogique ou didactique. Néanmoins, l’auteur insiste sur le fait que le regard méfiant que la communauté universitaire a pu porter sur les études de jeux vidéo historiques n’est pas encore entièrement dépassé, et qu’une large démocratisation de ce champ de recherche auprès des historiens et des étudiants ne signifie pas sa légitimation absolue – d’autant que l’auteur continue d’évoquer le médiévalisme comme un champ « contesté ». Les jeux influent de façon notable sur la perception que les joueurs ont de l’histoire, sur leur goût pour des périodes données mais aussi sur le développement de capacités d’analyse historique, ce que de nombreux travaux (notamment anglophones) ont largement démontré ; l’on renverra notamment, parmi une bibliographie déjà conséquente, à la thèse de Sian Beavers, The Informal Learning of History with Digital Games (Open University, 2019). Un nombre croissant de travaux tend par ailleurs à montrer que cette influence sur les joueurs est plus forte dans le cas des jeux consacrés aux périodes prémodernes, ce qui dans le cas du Moyen Âge est encore accentué par son omniprésence dans la culture populaire et les univers de fantasy : « As a result, games set in the Middle Ages are typically more influential and more likela to be adopted as tools for political and religious extremists than those set in other periods and must be understood and engaged with as such » (p.13).
Houghton souligne s’il en était encore besoin le triple intérêt d’étudier des corpus vidéoludiques, à la fois vis-à-vis de la capacité de compréhension d’une période historique donnée que cela permet, de la pertinence didactique des jeux – même si cet aspect n’est pas non plus à surestimer et ne constitue jamais une baguette magique pédagogique – et de leur potentiel en tant qu’outils de recherche. Dans une introduction assez dense, l’auteur présente l’étendue de son corpus (globalement, les jeux abordant la période allant de 400 à 1500, y compris les jeux de fantasy, et sans se tenir à des limites trop strictes si cela peut nourrir son propos) et revient sur le rôle et le traitement de l’histoire – et surtout de l’histoire médiévale – dans les jeux. L’auteur s’intéresse à la façon dont la logique même des jeux et leur développement marketing contribuent à forger, à entretenir et donc à stabiliser certains tropes : la violence omniprésente, la représentation de la science comme progrès nécessaire, la marginalisation narrative des systèmes politiques, sociaux et économiques, le décalage entre l’imagerie religieuse et l’imprécision attribuée aux religions, etc.
Robert Houghton propose ici de lister les grandes lignes directrices qui président à la représentation du Moyen Âge dans l’imaginaire audiovisuel narratif, mais également de mettre en évidence les particularités propres au domaine vidéoludique, au croisement des enjeux spécifiques aux jeux historiques d’une part, et d’autre part de la culture populaire. Il s’agit donc d’analyser la rencontre des tropes vidéoludiques et des tropes médiévalistes, et de voir en quoi cette interaction donne naissance à un troisième jeu de tropes médiévalistes vidéoludiques, qui ne sont pas simplement issus d’une logique cumulative. De façon intéressante, l’auteur ne propose pas des études de cas mais adopte une vision surplombante, qui puise dans un large corpus de jeux jouables sur ordinateur et croise plusieurs approches médiévalistes. Les chapitres n’évitent pas un certain « effet catalogue » par moments, mais permettent d’ouvrir une réflexion plus large : l’ouvrage invite en effet au croisement des disciplines et au dialogue dans ce champ de recherche encore jeune.
Les deux premiers chapitres, plus méthodologiques, s’intéressent aux tendances dans le domaine des jeux vidéo médiévalistes, d’abord avec les tendances démographiques liées à l’implication des équipes de créateurs et des joueurs et joueuses (chapitre 1, « Mechanical and Social Pressures ») ; puis avec les tendances de genre et les conséquences qu’ont les jeux de rôle ou encore les jeux de fantasy sur le médiévalisme (chapitre 2, « Medievalist Genres »). Les chapitres suivants adoptent une approche thématique, moins originale mais qui délimite les grands axes du médiévalisme vidéoludique – lequel est très proche du médiévalisme audiovisuel de façon générale, mais qui évolue cependant différemment en fonction des possibilités et contraintes techniques du médium, ainsi que des attentes des joueurs. Houghton insiste en effet sur la dimension interactive qui, par définition, contribue au médiévalisme vidéoludique, ce qui implique que les objectifs des créateurs de jeux ne sont pas nécessairement suivis par les joueurs dans leurs pratiques.
Les chapitres 6 et 8, consacrés respectivement à la représentation des religions institutionnalisées et aux questions de race et de nationalité, proposent notamment des réflexions pertinentes, qui permettent de nuancer des constats souvent rapides opérés sur des corpus plus restreints (en particulier si l’on se limite aux jeux les plus populaires et diffusés). Tout en rappelant qu’il ne peut pas tout aborder et que les créations asiatiques, de plus en plus nombreuses et influentes, sont largement absentes de cette étude, Robert Houghton trace un panorama conséquent du médiévalisme vidéoludique. Il montre bien les tensions entre une aspiration à plus d’ouverture contemporaine (avec une plus grande diversité ethnique, raciale et genrée, notamment), et une inertie qui pousse à reproduire des formules à succès, reproduisant à l’envi un médiévalisme plus aisément reconnaissable et appropriable par les joueurs.
Le chapitre 7, « Morality », est probablement le plus innovant de tout ce passionnant ouvrage. Il aborde un sujet rarement traité dans les études des représentations médiévalistes – et, semblerait-il, dans les études de jeux historiques –, et qui dans le cadre des jeux vidéo prend tout son sens : la création d’une illusion de moralité, voire d’une moralité illusoire, invite le joueur à s’investir dans les choix menés par son personnage/avatar, tout en établissant une hiérarchie de valeurs souvent arbitraire et en contribuant à justifier un contexte très souvent violent – l’auteur complète ici une analyse amorcée par le chapitre 3 sur le thème guerrier, et par le chapitre 4 sur la façon dont la représentation des sciences contribue aussi à entretenir l’image clichée des « Âges sombres ». Si cela entraîne par moments quelques effets de redite, il n’empêche qu’aborder ce corpus de façon thématique permet de tracer un portrait à la fois large et nuancé du médiévalisme vidéoludique, en intégrant ses évolutions les plus récentes.
Enfin, l’étude de Robert Houghton synthétise les grands axes abordés dans les différents chapitres dans une brève conclusion. L’approche transversale permet à l’auteur de revenir sur les distinctions propres non seulement au médiévalisme vidéoludique – à travers les questions de statistiques qui quantifient le fonctionnement des équipements médiévaux, par exemple –, mais aussi et surtout aux nuances d’un type de jeu à l’autre. Ainsi les jeux de stratégie et de conquête ne reposent-ils pas exactement sur les mêmes tropes que les jeux de rôle en ligne. Les caractéristiques issues de la fantasy contribuent aussi à atténuer les conséquences de la violence guerrière et de la supposée stagnation technologique du Moyen Âge, si bien que les jeux de fantasy possèdent également leur propre façon d’entretenir des images habituelles sur la période. L’auteur termine en listant d’autres pistes à explorer, en revenant sur les limites de cette étude et en invitant surtout à prolonger les analyses avec des outils et des corpus complémentaires : « it is apparent that marked trends exist around medievalist games and that considering them solely through the lens of medievalism or of historical gaming is insufficient and potentially misleading. Instead, medievalist computer games need to be considered in their own right. » (p.288-289).
L’ouvrage est écrit dans un style simple et fluide, qui permet de suivre aisément le raisonnement malgré l’énorme corpus convoqué, et que l’auteur invite à considérer en passant souvent rapidement d’un jeu à l’autre. L’ensemble est pourtant toujours clair, et la réflexion est facilitée par l’usage systématique d’annonces de plans et de conclusions partielles. Cela peut certes donner à la lecture un aspect un peu répétitif de temps en temps, mais l’ouvrage sera de fait très pratique à utiliser dans un cadre pédagogique (anglophone).
Houghton propose ici un livre fondamental, nuancé et stimulant, qui fera très probablement date dans les études médiévalistes consacrées aux jeux. L’on consultera aussi cet ouvrage très complet pour retrouver une bibliographie riche sur le médiévalisme vidéoludique et constituer ainsi une base de recherche particulièrement efficace sur le sujet. Les lecteurs et lectrices sont toutefois invités à compléter cette approche, certes déjà large, par l’intégration de la recherche francophone sur le sujet, malheureusement en grande partie absente de l’ouvrage de Robert Houghton, ce que l’auteur reconnaît d’ailleurs avec pertinence – une raison supplémentaire, si besoin, d’inviter les chercheurs et chercheuses francophones à publier (aussi) leurs travaux en anglais.
Détails et commandes sur le site de l’éditeur.